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Michel J. Cuny lit et commente Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie 2006
18 novembre 2011

17. La mise au pas du travail

    Ainsi que nous l'avons vu précédemment, pour Adam Smith le travail est la mesure de la valeur économique. Mieux, le travailleur lui-même n'aurait pas toujours été dans la situation de dépendance qu'on lui connaît pourtant depuis la nuit des temps : "Dans l'état initial qui précède l'appropriation de la terre et l'accumulation du capital, la totalité du produit du travail appartient au travailleur." (page 73)

    C'est encore celui qui nous est assez souvent présenté comme le "père" de l'économie politique qui poursuit sur ce ton : "Si cet état s'était prolongé, le salaire du travail aurait augmenté avec toutes les améliorations de ses puissances productives auxquelles la division du travail donne lieu." (idem)

    Et voici venir sous la plume d'Adam Smith ce qu'E.S. Phelps se sera bien gardé de nous dire : "Mais cet état initial, dans lequel le travailleur jouissait de la totalité du produit de son travail, ne pouvait pas durer au-delà de l'appropriation de la terre et de l'accumulation du capital." (page 74)

    Terre, capital, travail... Le prix Nobel nous avait certes fourni l'énumération, mais il ne plaçait cela que sous l'angle d'une vérité première peu digne d'une quelconque explication.

    Son prédécesseur de plus de deux siècles a fait beaucoup mieux. Qu'on en juge...

    Sur la terre et la rente : "Dès que la terre devient propriété privée, le propriétaire exige une part de presque tous les produits que le travailleur peut y cultiver ou y recueillir. Sa rente constitue la première déduction sur le produit du travail de la terre." (idem)

    Sur le capital et le profit : "Il arrive rarement que celui qui cultive la terre ait les moyens de subsister jusqu'à ce qu'il récolte la moisson. Sa subsistance lui est généralement avancée sur le capital d'un maître, le fermier qui l'emploie et qui n'aurait aucun intérêt à l'employer s'il ne devait pas avoir sa part du produit de son travail ou si son capital ne devait pas lui être remplacé avec profit." (idem)

    Et pour qu'il ne subsiste aucun doute quant au contenu de ce qui devait plus tard recevoir le doux nom d'"exploitation", Adam Smith nous explique très bravement ceci : "Dans tous les arts et toutes les fabrications, la plupart des ouvriers ont besoin d'un maître qui leur avance les matériaux de leur ouvrage, leur salaire et leur subsistance jusqu'à ce que cet ouvrage soit achevé. Ce maître a sa part du produit de leur travail, c'est-à-dire la valeur que celui-ci ajoute aux matériaux auxquels il s'applique. C'est cette part qui représente son profit." (idem)

    Que dire ensuite de la mise en oeuvre du rapport de force qui ne peut manquer de s'établir autour de la dimension quantitative de l'exploitation? En cas de conflit, que se passe-t-il? Qui peut prendre l'avantage? Qu'adviendra-t-il s'il y a cessation unilatérale du travail?... C'est encore chez Adam Smith : "Un propriétaire, un fermier, un maître fabricant ou un marchand, alors même qu'ils n'emploient pas un seul ouvrier, pourrait généralement vivre un an ou deux avec les capitaux qu'il a déjà acquis. Beaucoup d'ouvriers ne pourraient pas subsister une semaine, un petit nombre pourrait subsister un mois et presque aucun ne pourrait subsister une année sans emploi." Que les travailleurs en soient réduits à l'affrontement, et leur sort est d'avance entendu, selon Adam Smith lui-même : "Ils sont aux abois et agissent avec la déraison et les excès d'hommes poussés à bout, qui n'ont d'autre alternative que de mourir de faim ou d'obtenir par la terreur que leurs maîtres satisfassent sans délai leurs revendications. En ces circonstances, les maîtres font, de leur côté, tout autant de bruit, et ne cessent jamais de réclamer à grands cris l'aide du magistrat civil et l'application des lois si sévères contre les coalitions de domestiques, de travailleurs et de journaliers. Les ouvriers tirent par conséquent très rarement le moindre avantage de la violence de ces coalitions tumultueuses qui, tant par l'intervention du magistrat civil que par la plus grande persévérance des maîtres et la nécessité où se trouvent la plupart des ouvriers de se soumettre pour avoir leur subsistance du moment, n'aboutissent généralement à rien, si ce n'est au châtiment ou à la perte des meneurs."

    Et que dire du rapport de force dans les époques où le chômage est roi, monsieur le prix Nobel d'économie 2006? Qu'en faites-vous, des "aspirations" de ces chômeurs dont votre "théorie" admet, du bout des lèvres, qu'il se pourrait qu'ils finissent par exister?

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