Michel J. Cuny lit et commente Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie 2006

22 octobre 2011

1. Une analyse économique claire et lisible

 

 L'ensemble des textes présentés sur ce blog
forment le début de la sixième partie de l'ouvrage...

 

1 - 1ère de Couv

 

 

478 pages, cousu, 29 euros

Première partie : En marche vers le travail souverain? (1943-1947)

Deuxième partie : Entre U.S.A. et U.R.S.S. (1917-1945)

Troisième partie : Le lasso du plan Marshall

Quatrième partie : Staline accusé sans preuves (Hannah Arendt)

Cinquième partie : Une autre hiérarchie raciale (Hannah Arendt)

Sixième partie : Les à-peu-près d'un prix Nobel d'économie

Septième partie : Petite histoire de la propriété

 

Pour atteindre la page de commande et de paiement,

c'est ici.

 

    Prix Nobel d'économie en 2006, Edmund S. Phelps a réédité en 2007, sous le titre "Economie politique", la traduction intégrale en français d'un ouvrage initialement publié aux Etats-Unis en 1990.

    Dès les premiers mots de la Préface, l'auteur nous signale que "ce livre est une introduction à l'analyse économique, destinée aussi bien aux étudiants qu'au grand public".

    Tout aussi directement, le premier chapitre de l'Introduction est intitulé : "Les règles du jeu." 
        
     Voilà donc que nous sommes convié(e)s au sublime jeu de l'économie... capitaliste.
              
     
     Rien qu'un jeu. Nous n'osons tout d'abord le croire...

     Mais nous ne demandons qu'à nous mettre, nous aussi, à l'école de l'éminent prix Nobel que voici.

     Michel J. Cuny


23 octobre 2011

2. Quand l'économie devient un jeu

     Pénétrons donc, avec Edmund S. Phelps, dans ce jeu qu'est, selon lui, l'économie... Déjà les tout premiers mots de son "Introduction" nous arrêtent : "Ce qui cimente une société, ce sont les avantages réciproques que trouvent ses membres à procéder entre eux à des échanges, à collaborer ensemble à la production et à échanger des produits. L'économie d'une société est le terrain de rencontre en vue de tels échanges."

     "Echanges"... "Avantages réciproques"... "Collaboration"... "Terrain de rencontre"... Voici tout un vocabulaire plus que significatif... De quelle réalité nous entretient-il?

     De l'économie où règnent les échanges marchands... De la très pacifique et fraternelle économie de marché... où peut venir jouer qui le souhaite, sans aucune condition que de se plier aux règles de ces charmants petits échanges (entre égaux?)... où les choix paraissent très ouverts puisque, ainsi que le rapporte notre Prix Nobel : "Pour que l'échange se développe, il faut que lorsque les gens choisissent le rôle qu'ils devront jouer dans l'économie, ils soient guidés par des lois et par des incitations. Il faut qu'il y ait des 'règles du jeu', afin que les gens sachent quand jouer leurs cartes."

     Les "gens", les "gens"... "People" sans doute, dans l'original... Autrement dit : le tout-venant.

     Le tout-venant va se "choisir un rôle qu'il devra jouer". C'est déjà un peu plus sérieux...

     Car les "règles du jeu" sont là pour que "les gens sachent quand jouer leurs cartes"...

     Il est alors soudainement très clair qu'avant même d'entrer dans le jeu de l'échange, ces braves "gens" étaient détenteurs de "cartes"... Et par exemple, plutôt de celles-ci... que de celles-là... Ce qui veut tout simplement dire qu'avant de jouer eux-mêmes, ils ont été... joués. Mais, cela, il ne faudra pas s'attendre à ce qu' Edmund S. Phelps nous en fasse la confidence...

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25 octobre 2011

3. Un secret de Polichinelle

    Par quoi "les gens" occupés, selon E. S. Phelps, à "jouer leurs cartes" sont-ils joués? Par un objectif sous-jacent au système des "règles du jeu" qui ordonnent le mode capitaliste de production, objectif que le prix Nobel 2006 énonce sans crier gare : "Pour que les efforts soient encouragés et coordonnés - pour aboutir, en fait, à une division du travail à l'échelle de l'économie -, il faut qu'il y existe des droits et des interdits reconnus, des récompenses et des sanctions escomptées, des conventions et des normes auxquelles on puisse se fier."

   
La "division du travail" se présente d'abord sous sa façade technique : division des tâches, spécialisation des travailleurs, et hausse consécutive de la productivité. Devons-nous nous en tenir là?

    Désireux de nous fournir une illustration que, sans doute, il juge adéquate, notre auteur fait immédiatement suivre la phrase précédente de celle-ci : "Le livreur compte sur son employeur pour lui verser le salaire convenu, sur l'Etat pour fixer le montant des impôts votés, et sur ses voisins pour ne pas lui voler ce qui lui reste ; en retour, son employeur s'attend à ce qu'il livre la marchandise."

    Et voilà que nous saute aux yeux - et sans que cela paraisse troubler le moins du monde jusqu'à un spécialiste de la dimension de E.S. Phelps - que loin de mettre en scène une "division du travail", son exemple nous place d'emblée dans une tout autre séparation, bien plus fondamentale celle-ci : la dichotomie travail/capital...

    C'est bien ce qui fait le fond de l'économie capitaliste.

    Mais c'est aussi de quoi il ne faudrait surtout pas parler.

    Or, après à peine une demi-page d'écriture, la frontière de classe est tracée sans crier gare, et avec elle le système de coercition - l'Etat - qui en garantit le respect. Mais c'est un peu comme le nez au milieu de la figure : trop visible pour être vu du premier coup d'oeil...


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27 octobre 2011

4. Une filouterie ordinaire

    Que signifie la dichotomie travail/capital? Que le travailleur est coupé du capital, c'est-à-dire des moyens de production. Que pour mériter un accès aux moyens de subsistance qui lui sont nécessaires pour assurer sa survie et celle de sa progéniture, il doit accepter de mettre sa force de travail au service des détenteurs de capitaux qui, eux, vivent d'une part de la richesse produite par le collectif de travail qu'ils auront ainsi pu se soumettre.

    C'est cette frontière de classe, qui donne la structure de fond de la société capitaliste, qu' Edmund S. Phelps refuse de prendre en compte, de sorte qu'il peut ensuite retenir une fort trompeuse définition de l'économie de marché à la connaissance de laquelle il prétend initier le grand public ainsi que les étudiants : "L'économie d'une société fonctionne donc en offrant aux participants un éventail de perspectives qui, étant donné les aspirations et les capacités de ceux-ci, déterminent qui fait quoi. En affectant les tâches selon les choix individuels, l'économie détermine donc l'efficacité avec laquelle la société produit et fournit les biens que les gens désirent. Et en fixant la rémunération à laquelle chaque tâche donne droit, elle détermine la répartition des bénéfices entre les participants, étant donné les capacités de chacun et les autres ressources."

    Ainsi, avisant la discipline universitaire qui est la sienne, peut-il en faire une présentation particulièrement consensuelle et donc lénifiante : "L'économie politique est l'étude des structures alternatives de rémunérations entre lesquelles la société peut - et donc doit - choisir : comment les mécanismes d'un système donné, existant ou potentiel, - les droits légaux, certains marchés, les impôts et les subventions, les obligations et les devoirs, etc. - agissent-ils sur la nature des perspectives individuelles? Et dans quelle mesure fonctionnent-ils bien ou mal?"

    En conséquence de quoi, nous ne sommes pas étonnés de retrouver sous sa plume la ritournelle du vocabulaire journalistique le plus banal, et de la bonne volonté la plus imbécile : " Les inégalités, le chômage, l'inflation, la pollution..."

    Oubliée (volontairement?), la dichotomie travail/capital ne sera décidément pas à l'ordre du jour des modifications envisageables par l'illustre prix Nobel. Effectivement, l'économie politique fait carrière sur cet "oubli" depuis les lendemains de la publication d'un certain "Capital" (1867)...


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28 octobre 2011

5. Je t'y perds et je t'embrouille

    Extraites des deux premières pages de l'"Introduction", les citations précédemment rassemblées font apparaître des termes qui appartiennent à la vulgate de ce que l'on pourrait appeler la "liberté d'entreprendre" en tant qu'elle n'est d'abord qu'une mise en scène à l'usage des benêts : "offrant aux participants un éventail de perspectives", "les aspirations et les capacités", "les choix individuels", "les biens que les gens désirent", "la nature des perspectives individuelles".  

    Mais on doit aussitôt convenir de ceci qu'en tant qu'il s'agit des maîtres-mots de l'idéologie dominante, il faudrait atteindre à un certain héroïsme pour réussir, face à eux, à s'arracher à la quasi commune condition de... benêts.

    D'ailleurs revoici le rouleau compresseur tel que le prix Nobel 2006 le pilote : "Les biens, pour mériter ce nom, doivent satisfaire les aspirations d'une ou plusieurs personnes - aspirations à la sécurité, au confort, à la découverte, à l'expression, à l'épanouissement, etc. Les biens sont les instruments de satisfaction des aspirations humaines."

    Aspirons, aspirons : il en restera toujours quelque chose...

    Et sans sauter un seul mot, lisons ce qui suit, là, immédiatement : "Un lopin de terre n'est donc pas un bien; c'est une ressource permettant de produire des biens."

    Si nous avons maintenant la curiosité de nous déplacer jusqu'à la dernière page de l'"Introduction", nous découvrons que le terme "biens" figure parmi les "concepts introduits" par E.S. Phelps... C'est donc tout à fait sérieux.

    Car, comment pourrait-il avoir le front de nous traiter lui aussi, lui surtout, comme des benêts?...

    Bons élèves, nous sommes donc tout à fait disposés à renvoyer à son ignorance crasse le cultivateur qui a la faiblesse, lui, de voir dans le moindre de ses lopins de terre un bien parmi d'autres qu'il ne peut que rassembler dans "mon" bien... Voilà ce que c'est que de ne pas fréquenter l'université Columbia de New York!

    C'est donc comme un rare privilège qu'il nous faut recevoir cet étonnant charabia logique qui vient ponctuer la transition qui va des "ressources" aux "biens", à travers la production : "Par nature, les biens doivent aussi pouvoir être obtenus à partir des ressources existantes [O.K.]. Ou un bien est produit aujourd'hui avec des ressources existantes, ou il est lui-même une ressource, telle la lumière du soleil ou des aliments stockés depuis le moment de leur production."

    Façon jeu de bonneteau, c'est très fort... Qu'y a-t-il sous le chapeau : bien ou ressource, si un bien peut, à loisir, se transformer en ressource?

    Et voilà qu'à son tour, cette chère "lumière du soleil", qui comme tout bien qui se respecte (selon E.S. Phelps) peut très bien satisfaire "les aspirations à la sécurité, au confort, à la découverte, à l'expression, à l'épanouissement, etc.", n'est plus un bien mais une ressource.

    Sous l'effet d'un tel alcool de jus de chaussette, il ne sera pas étonnant de nous voir tituber quelque peu. C'est alors que le maître de l'université Columbia sort son très joli violon (pendant que le capital se tord de rire) : "Parmi les biens, tous ne satisfont pas notre intérêt personnel, au sens étroit du terme. Faire un cadeau est un bien si cela satisfait le désir qu'éprouve celui qui donne d'exprimer son affection. Se porter volontaire pour un travail non rémunéré est un bien si cela satisfait le désir qu'a le volontaire d'exprimer son sens de la communauté."

    Communiste, ce brave professeur?...

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29 octobre 2011

6. Quand l'économie politique feint de se saborder

    Pour finir de nous noyer dans sa grande lessive de sommité mondiale de l'économie, E.S. Phelps en vient à citer son confrère canadien, Robert A. Mundell (1968) : "En économie, le concept de bien est très large. Un morceau de pain est un bien, et de même une voiture, une maison, un tableau, un disque des Beatles, un lit et un chien. Et aussi peut-être l'air, un rendez-vous avec une jeune fille, un bain dans l'océan, une conversation avec un génie..."

    Mais, de façon subreptice, le prix Nobel nous glisse à l'oreille quelques bonnes nouvelles en provenance... du capital et... du travail, dont il sait très bien qu'ils ne sont pas venus là simplement en touristes.

    Il serait toutefois difficile de masquer la personnalité réelle du premier (le capital), davantage que ne le fait ce fourre-tout : "La monnaie, les actions et les obligations représentent des actifs financiers que l'on s'attend à pouvoir échanger contre des biens."

    Certes, l'échange des biens (si, cette fois, nous laissons filer l'étrange saumure dans laquelle E.S. Phelps les fait flotter, pour préciser qu'il s'agit, chez lui et sans qu'il le dise, des "biens de consommation") passe par l'utilisation de la monnaie. Ceci n'a vraiment rien à voir avec... les actifs financiers.

    De même que, par ailleurs, on peut revendre des actions et des obligations pour aller au bal... Et alors?

    Non : actions et obligations sont constitutives d'un capital, c'est-à-dire qu'elles permettront l'acquisition de moyens de production et l'embauche de travailleurs, dans l'intention d'engendrer du profit.

    Or, sur cette même page (qui n'est encore que la troisième de l'"Introduction"), voici venir le compère travail en habits du dimanche : "On a ainsi admis depuis longtemps que, dans certains emplois, le travail est en soi gratifiant. Les sociologues parlent des satisfactions du travail, les économistes de rémunérations non pécuniaires - rémunérations autres que celle que constitue le salaire. Les meilleurs emplois ont un large éventail de caractéristiques, parmi lesquelles certaines sont en fait des biens pour celui qui occupe l'emploi en question."

    Revoici donc les "biens"... Et en quelle belle posture! Acquis à l'occasion du travail, "rémunérations non pécuniaires" du travail! Ne faudra-t-il pas, alors, les retirer sur les salaires?

    Et pour celles et ceux qui auraient la comprenette pas tout à fait au point, en voici - sur la même page - une couche de plus : "Bien sûr, de nombreux emplois sont encore purement fastidieux ou pénibles. Pourtant, il ne faudrait pas sous-estimer l'importance des rémunérations non pécuniaires : les emplois diffèrent tant les uns des autres de ce point de vue, et ces différences peuvent avoir une valeur considérable. Créer quelque chose, quoi que ce soit, ou participer avec d'autres à la production de quelque chose - de tels biens ont une grande valeur pour chacun d'entre nous, ou presque."

    C'est tout juste ce qu'écrivait la marquise de Sévigné à Coulanges le 22 juillet 1671 : "...faner est la plus jolie chose du monde, c'est retourner le foin en batifolant dans une prairie…"

     C'était donc déjà de la grande, de la très grande économie politique!... Oh, pauvres de nous, qui avons cru, autrefois, pouvoir en rire à gorge déployée!...

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31 octobre 2011

7. L'économie comme fourre-tout

    E.S. Phelps récapitule son propos en ce qui concerne les biens, et nous ne sommes effectivement pas déçus : "Les biens sont donc ce qui constitue les rémunérations. Toutes les rémunérations pour participation à l'économie de la société, versées ou non, pécuniaires ou non, prennent la forme de biens, ou de moyens d'acquérir des biens."

    Ce qui ne nous empêche pas, pour notre part, de dire que les biens ainsi définis sont des biens de consommation, tout en reconnaissant que le prix Nobel 2006 donne à ceux-ci une extension inattendue : il inclut dans le champ de son économie les rémunérations non pécuniaires procurées à l'occasion de l'exercice d'un travail et les qualifie, elles aussi, de biens (de consommation, ajoutons-nous). D'où il faut inférer qu'il s'agit, tout en travaillant, d'ajouter à la rémunération en cours de formation, une part de plaisir non rémunéré, mais qui doit entrer, d'une façon ou d'une autre, dans la comptabilité économique... Nous ne voyons pas en quoi cela pourrait consister, sauf à inviter l'employeur à se montrer circonspect en matière de rémunération sitôt que ce plaisir, jusque-là clandestin, se met à exister...

    Or, arrivé à ce point de son exposé de la position générale des "biens", E.S. Phelps prétend pouvoir nous fournir une définition générale de sa sphère d'étude : "L'économie est le lieu où interagissent aspirations et ressources, le résultat étant la production de biens pour les participants." Et ce serait donc effectivement un jeu : en toute circonstance de travail, nous batifolons plus ou moins...

    Mais, pour la part qui dépasse ces biens [de consommation] qui accompagnent, selon E.S. Phelps, l'activité de travail, il faut passer par l'utilisation de ce qu'il appelle des "ressources". Elles sont de provenance très diverse et de statut parfois complètement opposé, puisqu'en système capitaliste le capital fait face au travail, comme un maître face à son employé. Mais nous savons que, comme l'essentiel des économistes depuis maintenant 150 ans, E.S. Phelps "oublie" le problème que pose l'exploitation du travail jusqu'à appuyer très fort sur le plaisir, etc...

    Et voici, selon lui, en quoi consistent ces "ressources" nécessaires à la production des biens [de consommation], les seuls qu'il ait considérés jusqu'à présent : "Ces ressources peuvent être classées en trois catégories, qui correspondent à peu près au trio célèbre - travail, terre et capital."

    Pour rajouter à la confusion du début, il définit ainsi le travail : "Ce sont les ressources humaines - les capacités physiques et intellectuelles des participants à l'économie. La production de quelques biens ne nécessite aucune intervention humaine (les couchers de soleil, l'eau qui jaillit d'une source naturelle, les expositions de curiosités dans des musées dépourvus de personnel), mais ceci constitue l'exception."

    Nous remarquons, une nouvelle fois, en quoi cette façon de voir des biens là où ça chante au prix Nobel 2006 d'économie, fait de sa discipline, l'économie justement, un abominable fourre-tout.

    S'agirait-il d'un hasard?

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01 novembre 2011

8. Quand le capital rit sous le masque

    Revenons aux trois catégories en lesquelles E.S. Phelps répartit les "ressources" nécessaires à la production des "biens" [de consommation].

    Le travail est directement rattaché à la personne humaine : "capacités physiques et intellectuelles", mais ensuite, le vocabulaire se relâche : "des participants à l'économie". Qui, dans une société organisée, ne serait pas, d'une façon ou d'une autre un "participant à l'économie"? Serait-ce, pourtant, y figurer comme "travailleur"?

    La seconde catégorie concerne la terre : "Ce sont les ressources naturelles - la terre, l'atmosphère, l'eau et les autres minéraux, les poissons ou la nature." Ceci est tout de même fort vague.

    Mais nous voyons que les deux premières catégories forment un ensemble où, entre les ressources naturelles et les ressources humaines (le travail), c'est-à-dire entre les deux pôles : fondements matériels de toute activité humaine, d'une part, et d'autre part cette activité elle-même, des rappports dynamiques vont pouvoir s'établir, pour déboucher sur une production de richesse économique... Selon quelle répartition des tâches et des fruits du travail réalisé? C'est ce que nous ne sommes pas encore en situation de mesurer.

    Arrivons-en à la troisième et dernière catégorie, le capital. Selon notre guide, "ce sont les ressources produites et accumulées dans le passé en vue d'un usage futur - regroupées sous le terme générique de capital". Ici une première halte s'impose...

    E.S. Phelps a vite fait de nous jeter, et ceci en une seule phrase, dans une nouvelle et double méprise : il oublie tout d'abord de séparer les "ressources produites" par le travail, et ensuite "accumulées" par les détenteurs du capital au détriment du premier ; il omet ensuite d'indiquer que cette accumulation [des fruits d'un travail "passé" qui n'est pas le leur], a pour raison d'être l'obtention "future", à travers l'exploitation d'une nouvelle "génération" de travail vivant et pour ces mêmes détenteurs du capital, d'un profit qu'ils s'approprieront également,  et ainsi de suite.

    Et comme si des omissions d'une telle ampleur n'étaient pas suffisantes, le prix Nobel d'économie 2006 déploie ici tranquillement et comme à son habitude une double couche de brouillard, mais celle-ci, loin de masquer certains éléments du mécanisme, fait soudainement miroiter devant nos yeux un diptyque dont il n'a peut-être pas mesuré en quoi il trahit un résultat essentiel de l'exploitation de l'humain par l'inhumain.

    Premier panneau : "Le capital accumulé d'une économie comprend à la fois des ressources matérielles, telles que les usines et les équipements, et des ressources intellectuelles, telles que l'arithmétique ou l'art de la navigation." Et pourtant, ces mêmes "ressources intellectuelles", donc humaines par excellence, figuraient déjà dans la définition (cf. le message n° 7) du... travail.

    Faudrait-il en déduire que, nées des pratiques humaines, elles se trouvent captées, elles aussi, par les propriétaires des moyens de production (le capital), qui les rétrocéderont en contrepartie d'un travail de formation non rémunéré en tant que tel, alors que ce travail d'une nature très particulière va offrir ensuite au capital qui utilise ces ressources intellectuelles incorporées, des gains de productivité accrus?...

   Quoi qu'il en soit, voilà un premier aveu qui permet de jeter un oeil neuf sur l'ensemble des filières d'enseignement et sur leur éventuelle réappropriation par les populations travailleuses...

    Que le professeur Phelps en soit ici remercié.

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02 novembre 2011

9. Le capital et sa boîte à malice

    Pour clore la rubrique qu'il a ouverte à une première définition du capital, E.S. Phelps écrit : "Dans l'économie d'une société, le capital comprend aussi les ressources morales et politiques ; sans l'apport de ses coutumes et de ses institutions élémentaires, aucune société ne pourrait mettre en place ni préserver le moindre ensemble de règles concernant la participation à l'économie - il n'y aurait que chaos et conflits, ou repli sur des entités autosuffisantes."

    De même que nous l'avons précédemment vu à propos des "ressources intellectuelles" qu'il rangeait déjà dans l'orbe du capital, voici que le prix Nobel y place les "ressources morales et politiques". Mais cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un élément qui aurait été partagé avec les caractéristiques du travail.

    De tout ceci se déduit assez facilement que l'ensemble des superstructures intellectuelles, morales et politiques sont le couronnement idéologique du capital, c'est-à-dire l'atmosphère en l'absence de quoi il ne peut vivre et prospérer : le droit, la démocratie, une certaine liberté, une certaine égalité, une certaine fraternité sans lesquelles il n'y aurait que "chaos et conflits, ou repli sur des entités autosuffisantes".

    Le peuple des travailleurs appréciera...

    Mais le capital, lui, est désormais apte à entrer dans ses grandes manoeuvres selon les voies qui sont les siennes, c'est-à-dire en particulier une aspiration généralisée aux biens [de consommation].

    E.S. Phelps fait alors apparaître, dans son unanimité et sa solidarité de classe, la phalange universitaire à laquelle il appartient et qui ne peut que le reconnaître comme l'un de ses phares : "Lorsque les économistes parlent de l'affectation des ressources d'une économie, ils entendent par là la manière dont chaque unité de ces ressources est utilisée - à la production de quel bien sert-elle? - et la manière dont le produit obtenu est réparti entre les participants."

    S'il y a donc effectivement une dépendance marquée entre les divers biens et les aspirations qui en sous-tendent l'intérêt pour leurs "consommateurs", "parler d'une économie sans aspirations serait une contradiction terme à terme : en revanche, on pourrait concevoir, en imagination du moins, une économie dans laquelle les aspirations concernant tous les biens disponibles seraient limitées. Dans une telle économie, il se pourrait que les ressources disponibles pour produire ces biens soient si abondantes que les aspirations de chacun concernant tous les biens productibles seraient complètement satisfaites - une économie d'abondance : chacun ne travaillerait que jusqu'au moment où travailler davantage ne procurerait plus aucun plaisir, de sorte que toutes les satisfactions possibles qu'apporte le travail seraient complètement exploitées."

    Les conditionnels sont en effet très bienvenus et d'ailleurs très bien venus.

    Ainsi, nous constatons que, grâce au capital et à ses vertus intrinsèques, nous n'échappons que de peu à une vie paradisiaque, pour autant que l'économie libérale a quelque chance d'en être la condition nécessaire et suffisante.

    Car, si sa rhétorique est assez "fabuleuse", E.S. Phelps n'a pas, lui, perdu le fil de la dichotomie toujours aussi fondamentale et jamais avouée du travail et du capital. La preuve?... Nous la tenons dans la suite de ce même paragraphe : "Et à ces efforts, à la technologie et à l'abondance des ressources naturelles et des ressources en biens capitaux, les désirs de chacun de disposer des biens produits seraient eux aussi pleinement comblés."

    "Biens capitaux", d'une part. "Biens [de consommation] produits", d'autre part.

    A chaque fois, à chaque fois, à chaque fois, le lapin est encore et toujours déjà dans le chapeau...

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08 novembre 2011

10. La gloutonnerie est donc à l'origine de tous nos malheurs

    Ayant fondé son analyse économique sur les "aspirations" qui visent les "biens [de consommation]", E.S. Phelps y ajoute un postulat qui paraît tomber immédiatement sous le sens... C'est qu'on n'en a jamais assez. De sorte que, très scientifiquement, "l'analyse économique postule que ces aspirations sont illimitées".

    C'est fort joli, et assez largement évident, pour qu'une sagesse très ordinaire suffise pour anticiper la suite : "Mais s'il existe des aspirations illimitées, donc toujours des aspirations insatisfaites à disposer des biens de l'économie, alors certaines au moins des ressources existantes de l'économie sont nécessairement rares [...]"

    Comme E.S. Phelps le rappelle à cet endroit, les trois catégories de ressources sont : la terre, le capital et le "temps de chaque journée". Tiens, voilà du nouveau! Le travail a été remplacé par sa mesure : le temps... Quel temps? Non pas un temps abstrait... Non pas un temps comme cette heure qui s'écoule, là, à l'instant, et dont nous sommes quelques milliards à partager instantanément toutes les secondes de toutes les minutes...

    Non. Le temps de travail, c'est un temps biologique particulier : le temps que vit un organisme humain lorsque, contre rémunération, il se trouve livré à la volonté d'autrui ; une volonté qui le tient corps et âme selon des modalités qui sont celles qu'affirme le contrat de travail...

    Comme chacune des deux autres ressources, le "temps de travail" pourrait donc faire défaut... C'est-à-dire que celles et ceux qui disposent d'un "temps de travail" à échanger contre rémunération pourraient en venir à ne plus être assez nombreux ou assez "motivés" pour venir satisfaire à l'ensemble des tâches à accomplir.

    Que dire de l'effet inverse? Comme si le chômage qui mine aujourd'hui l'économie occidentale ne valait pas toutes les théories, c'est-à-dire comme si la théorie n'avait pas d'abord à se soucier de la réalité, E.S. Phelps reconnaît qu'elle n'aurait rien à dire, en principe, contre la survenue éventuelle... d'un certain chômage. On appréciera toutefois la persistance des conditionnels : "L'éventualité d'une ère où il n'y aurait plus rareté de main-d'oeuvre est possible en théorie : des robots en abondance feraient tout, des compagnons-robots nous assistant tout au long des jours."

    La théorie paraît donc ne pas vouloir elle-même y croire... Et pourtant, ses propres calculs sont là... Et d'ailleurs, la voici qui y retourne immédiatement : "De nos jours, c'est le développement des 'technologies de pointe' dans la micro-informatique et la robotique qui, comme lors des précédentes vagues de mécanisation, fait naître, dans l'esprit de certains, la crainte de voir à nouveau la main-d'oeuvre cesser d'être rare, dans toutes les économies développées - son obsolescence étant cette fois due à l'abondance de supermachines utilisées comme des substituts de la main-d'oeuvre. Impossible? En théorie, non!"

    Eh oui : en théorie, non!

    Même en se pinçant pour rire et éponger un peu de son extrême nervosité, le théoricien de la théorie incrédule devant les quelques centaines de millions de chômeurs que rassemble la planète doit en convenir : "A propos de cette question de l'homme et des machines, un grand économiste [Keynes...] dit un jour, en plaisantant, qu'il y aurait toujours un problème de domestiques. Pourtant, il existe maintenant des robots qui font le ménage et promènent le chien. La robotique réduit effectivement la valeur de rareté de certaines catégories de main-d'oeuvre peu qualifiée, ce qui n'est pas une plaisanterie pour les travailleurs peu qualifiés (à moins que les sommes économisées ne leur soient destinées de quelque autre manière)."

    Jean qui pleure, et Jean qui rit : éternel duo... du même.

    L'économie politique fait décidément très fort... en théorie.

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