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Michel J. Cuny lit et commente Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie 2006
18 décembre 2011

35. Du balayeur à l'ingénieur

    Qu'il s'agisse du résultat d'un raisonnement ou d'une observation de la réalité, nous voyons bien comment la mise sous tension de deux protagonistes rassemblés autour d'une tâche commune a pour conséquence d'augmenter la profitabilité des capitaux investis dans cette tâche et dans les moyens matériels qui en sont la condition.

    Due à l'émulation ou à une combinaison technique établie sur les différentiels de la productivité afférente aux diverses  tâches accomplies respectivement par l'un et l'autre, cette profitabilité ne se développe pas uniquement sur le caractère "absolu" de l'avantage détenu par tel ou tel.

    E.S. Phelps nous rappelle l'embarras de l'ancienne économie politique face à un phénomène apparemment extravagant : "Clairement, il y avait des gens (il y en a toujours) qui ne possédaient aucun avantage absolu et avaient un désavantage absolu en tout ; la vénérable théorie de l'avantage absolu n'était pas en mesure d'expliquer comment ces gens pouvaient trouver leur place dans la production de la société." A remarquer que, pour les besoins d'une démonstration qui, comme on va le voir bientôt, ne peut que déboucher sur d'étonnantes aberrations, E.S. Phelps feint d'oublier la question du niveau de rémunération... 

    En restant dans le cadre de la fiction abusive qu'il développe ici, étudions cependant le cas d'individus n'ayant guère d'autre avantage que d'avoir le désavantage de n'être capables que de manipuler un balai, et à la vitesse d'un fer à repasser très rétif, afin de n'être pas obligés, pour survivre, d'aller mendier dans les rues... Nous allons voir que, même dans ce cas extrême, il y aurait, selon l'analyse qu'en fait ici E.S. Phelps, de quoi réaliser, en les employant, un gain indirect de productivité  sur leur dos...

    Allons donc! Est-ce vraiment possible?... La certitude n'en a pas été établie de bonne heure, ainsi que le regrette notre prix Nobel, mais "on comprit enfin que ce n'était pas vraiment l''avantage absolu' qui faisait que la collaboration pouvait se traduire par un gain d'efficience. Il n'est pas nécessaire qu'un travailleur soit 'plus rapide' dans une tâche donnée pour que sa collaboration avec un autre conduise à une production totale plus importante. En contribuant à la tâche dans laquelle il est comparativement rapide (et donc l'autre comparativement lent), il est à même de libérer un peu du temps que l'autre consacrait auparavant à cette tâche, augmentant ainsi le temps que ce dernier peut consacrer à la tâche dans laquelle il est lui-même comparativement plus rapide."

    Si un ingénieur perdu dans ses pensées peut s'épargner le temps d'aller maladroitement balayer les installations contre la location, par ses employeurs, des bras enkylosés de quelqu'un d'un peu plus lucide devant la tâche à accomplir, et qui, sans cela, ne pourrait que mendier son pain au prix d'une charité qui finirait peut-être par coûter trop cher aux nantis, nous comprenons très vite que, l'un dans l'autre, les propriétaires des capitaux, en même temps que la charité publique, seront gagnants, puisque, pour sa part, Edmund S. Phelps ne peut que faire la constatation suivante : "Avec une cadence plus rapide dans les deux tâches, un meilleur rythme de production est possible."

    Or ici, une idée en entraîne immédiatement une autre. Si les profits croissent parce que l'avantage comparatif de l'un vient renforcer l'efficacité de l'avantage comparatif de l'autre, il peut y avoir mieux encore. Ce serait que chacun des deux développe son avantage : l'augmentation de productivité prendrait bientôt une allure exponentielle. D'où l'intérêt - bien réel celui-ci -, pour le capital, de tout ce qui ressemble à l'amélioration des compétences professionnelles...

    Laissons E.S. Phelps nous indiquer comment fonctionne cette voie à double sens de la croissance de l'avantage comparatif : "Si une personne possède un avantage comparatif dans quelque activité, le fait qu'elle se spécialise dans cette activité - jusqu'à un certain point, en tout cas - se traduit par un gain en termes d'efficience." Et puis : "Lorsqu'une personne se spécialise dans une tâche productive, quelle que soit la raison de son choix, et même s'il n'y a aucune raison, elle acquiert - ou renforce - un avantage comparatif grâce à son expérience de travail."

    Notre malheureux balayeur, lui-même, pour remédier à la concurrence de celles et de ceux qui piétinent par-delà la barrière de la productivité marginale, aurait tout intérêt à décrocher un stage de perfectionnement...

    Répétons, cependant, que, pour les besoins d'une démonstration qui, comme nous venons de le voir, ne peut que déboucher sur d'étonnantes aberrations, E. Phelps a feint d'oublier la question du niveau de rémunération... Une heure d'activité d'un ingénieur n'est évidemment pas rémunérée comme une heure d'activité d'un balayeur... Or, d'une façon ou d'une autre, le salaire horaire correspond à la rentabilité  de l'activité rémunérée : l'échange des tâches ne peut certainement pas s'opérer sur le seul fondement des productivités respectives.

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